La lettre d'Espiguette :

Il est heureux parfois qu'il pleuve, pour les jardins mais pas seulement. M'étant dépêchée d'arroser avant la pluie, ladite pluie survint comme prévu et me renvoya dans mes foyers où j'apprends ce jour que je profite de la « fibre optique à très haut débit ». Et comment mieux inaugurer la fibre et le très haut débit, sinon en faisant un tour à l'Appentis... ? Qui n'en manque pas – ni de fibre, ni de débit !

Bon, Taulière, vous avez du souffle dans la longueur (quelque chose comme 10 000 verges ?) mais, voyez plutôt, il y a de la concurrence.

Donc, ayant pénétré dans l'Appentis, propulsée par la fameuse (et mystérieuse pour moi) fibre qui me vaut un panonceau métallique gravé dans l'entrée de l'immeuble (Orange ne se refuse rien ; remarquez, on comprend mieux les chiffres sur la facture).

Donc, disais-je, m'étant installée à l'Appentis et ayant fort à propos dédaigné un strapontin pour un confortable fauteuil, que vois-je de prime abord ? H.D. Thoreau ! Un effet de la fibre optique sans doute, je crois le reconnaître, non pas comme un vieil oncle d'Amérique mais comme un pote à moi, avec lequel j'ai passé une partie de l'hiver (enfin, plus précisément avec son fils !) - je veux parler de John Brown et de son fils Owen.

Au deuxième rabord, ils ne se ressemblent pas du tout, c’est juste une question d’époque.

Aux lecteurs de commentaires (il y en a !) je précise que je parle d’un roman de Russell Banks, (auteur que m’a fait découvrir La Taulière, à travers « Afflictions », que je recommande chaudement bien que je ne sois pas ici chez moi).

Roman qui a pour titre « Pourfendeur de nuages ». Un abolitionniste aussi, plutôt violent dans ses vieux jours, mais adepte aussi de la cabane et de l’auto-suffisance alimentaire.

Walden - préface de Jim Harrison, traduction Brice Matthieussent, édition "Le mot et le reste" 2010, révisée en 2018, que vous dites. Bon, je capte 100/100 pour le préfarceur et le traducteur, mais l’éditeur ? Ça c’est une colle ! Inconnu dans mon bataillon. Toujours via la fibre, ha, ha, je cherche ces mots… et le reste, et bingo ! Tout se recoupe !

« Tout se tient », comme dit notre chère Taulière, Thoreau est aussi l’Auteur d’un « Plaidoyer en faveur du capitaine John Brown ». Du coup, un pote à moi. Ah, mes vieux tontons d’Amérique, je vous aime…

Ce que le monde est petit tout de même !!! Et ce que le monde est têtu. Ça ne suffisait pas, l’action de ces héros ou de ces militants de l’abolitionnisme ? Non. On en remet une couche, malgré la fibre, le très haut débit et tout le toutim, on en est au même point. La cruauté n’a pas d’égale, la grandeur de certains, mesurée en pieds, en verges, en lieues, en ce que vous voulez, n’y suffit pas. A quoi bon la fibre optique, si on n’y voit rien ?

Espiguette

PS - John Brown : voyez-le ici, il a de la gueule le bougre…

images.jpg, juin 2020




Complément d'info par la Taulière :

Russell Banks est assurément un auteur à lire (il y en a tant à fuir...) et on est toujours contentes d'en parler ici !

Pourfendeur de nuages est en effet l'histoire de l'abolitionniste John Brown et de son fils Owen, dont Banks fait le narrateur de leur épopée vengeresse. Merci, Espiguette, de me l'avoir rappelé parce que je l'ai lu voici bien longtemps. Une histoire sanglante, paroxystique, celle d'un homme habité par sa radicalité et pour lequel H.D. Thoreau non seulement publia son "Plaidoyer" mais prononça l'éloge funèbre après son exécution par pendaison en 1859. La notice Wiki consacrée à John Brown fait de son action la cause de la guerre de Sécession, ce qui, historiquement, est faux. Mais c'est une "idée" défendue par un historien de la Droite-pas-si-nouvelle que ça, Alain de Benoist. Sans doute Trump s'en est-il fortement inspiré, à condition que quelqu'un lui ait fait un résumé en 3 lignes des élucubrations du bonhomme en question, et qu'on le lui ait lu en épelant les mots.

Le livre de Russell Banks est un roman. Le personnage de John Brown y est présenté comme un fanatique sanguinaire et tyrannique pour ses enfants ; l'épopée de ses assassinats d'abolitionnistes et autres révoltes meurtrières, pour la plupart sanctionnées d'échecs, ne le rend pas sympathique.

« Dans ce roman, est-il dit dans la notice Wiki correspondante, « Banks aborde un certain nombre de questions :
- les conséquences morales du radicalisme ;
- la fine frontière qui sépare la santé mentale du fanatisme religieux : « … le Seigneur me parle » ;
- comment un fort attachement familial est aussi une forme d'esclavage ;
- la perte de l'innocence. »

On ne peut pas soupçonner Russell Banks, par ailleurs engagé à gauche toute et sans concession, d'avoir mis en doute le bien-fondé de l'abolitionnisme. Son livre situe très bien la mince frontière entre l'engagement total et le fanatisme, et la question morale des victimes de ce qui peut apparaître comme une succession de règlements de comptes.

Je ne résiste pas à la tentation de re-signaler (déjà fait dans ces pages, mais où ??) que le nom de Donald Trump apparaît dans "Affliction", roman de Banks publié en... 1989 ! Banks, en substance, nomme ce milliardaire parmi les connards de républicains qui grâce à leur fric vont concourir pour l'élection. A l'usage des Européens et en particulier de nous, en France, qui avons cru en 2016 que Trump était sorti tout neuf de la télé-réalité.

(Rubrique "Tout se tient" ? :-) )