TAS N° 1 :

L'association où la Taulière fait de la gym (= remue ses petits bras et ses courtes jambes une fois la semaine) s'est montrée particulièrement pugnace pendant toute la durée du confinement : nous avons reçu par mail 2 liens vers des sites internet de sport pour trentenaires dopés, avec tablettes de chocolat en guise d'abdo, effectuant, dans des décors ikea, des trucs que même dans mes pires cauchemars, etc. Voilà pour la participation à l'effort national de solidarité.

Puis reprise tout aussi molle. Entre temps, notre prof s'était fait la malle sans explications ni aucune communication de l'asso.

Petite précision : l'asso en question est une grosse machine, maquée par le pôle de gérontologie du CHU, archi subventionnée, comptant plus de 1000 adhérent.e.s tous cacochymes seniors. Nous payons de 90 euros à 130 boules l'année pour un cours. La plupart d'entre nous ayant choisi 2 activités, lâchent donc dans les 280 balles, adhésion et licence incluses. Et quand des bénévoles comme la Taulière animent un truc (la fameuse balade du lundi), l'asso facture tout de même 25 euros aux baladeuses, sous prétexte de frais administratifs, sachant que j'établis moi-même mon programme et l'imprime à mes frais pour mes "mémés", vu qu'aller à l'asso pour le faire me prendrait trop de temps.

L'ai-je bien située ?

On apprend ce matin que notre prof de remplacement (qui assure ce cours en plus de ses autres), comme tous les animateurs sportifs de l'asso (tous diplômés d'Etat, bien sûr), bosse sous le statut d'auto-entrepreneur (RSI), cette inspiration jupitérienne de l'emploi post-effondrement (1). Or, pendant le confinement il n'a pas été payé, n'a pas reçu de chômage partiel. Il a "bénéficié" d'une "aide de l'Etat", soit 250 euros par mois. On comprend mieux sa minceur.

Et voilà-t-il pas que cet ingrat ne médite rien moins que de cesser ses relations avec cette généreuse asso ? Il nous dit ce matin qu'il est "à un tournant" et a peut-être d'autres projets. Comprenez : je me casse.

L'asso ne rembourse ni les adhérent.e.s, ni les subventionneurs (CHU, ARS, Ville, etc.) pour ces deux mois sans activité.

L'autre ingrat (le prof disparu en mer) a, paraît-il, trouvé du boulot entre temps. Il a deux gosses, c'est rien de le dire ce que ça bouffe ces p'tites créatures. Quel prof aurons-nous en septembre ?

Je vous parle ici de gens qui ont dans les 30 berges, qui se démènent comme des malades pour gagner leur croûte : plusieurs "employeurs" (encore que cet abus de termes commence à me chauffer les oreilles), des déplacements incessants entre les divers sites de leurs cours, ce qui les contraint à la bagnole vu le profil de l'agglomération (s'ils y allaient en vélo, des cours sauteraient, sans aucun doute, vu les distances, sans compter que faire du vélo sur les 4 voies et autres rocades, c'est moyen). Tou.te.s sont "employé.e.s", non pas par notre asso, mais par un truc qui fait fonction de parasite supplémentaire d'intermédiaire : Loire Profession Sport.

Je connais, dans mon lectorat, au moins une personne qui a goûté aux joies de ce statut privilégié du RSI, elle appréciera...

Depuis fin 2017, date où la dernière vraie salariée de l'asso a pris sa retraite (une profiteuse qui gagnait 1 500 balles après 42 ans de carrière et d'animations tous azimuts dont 15 à l'asso, une perle, soit dit en passant), on n'a eu que ce genre d'éphémères comme profs. C'a été ensuite un défilé de gens plus ou moins compétents pour faire bouger les vieux corps (on se souvient d'une petite jeune fille qui nous faisait asseoir sur un banc et lever les guibolles en rythme, puis nous offrait le spectacle de son propre savoir-faire en termes de grand écart, pont, etc. jusqu'à ce qu'on lui explique qu'on souhaitait un cours structuré : échauffement, assouplissements, muscu, étirements, bref le menu classique, effectué si possible par nous-mêmes, pas par elle).

Notre dernier prof d'avant le confinement, lui, avait l'étoffe d'un grand pro : en plus d'assurer ses cours et de les préparer, il avait investi beaucoup de temps dans des recherches sur les spécificités du corps vieillissant, des conditions de sa mobilité. Tout ce travail, effectué par ces indépendants, n'est évidemment pas rémunéré : seules les heures effectuées le sont (3). Mes craintes (justifiées a fortiori) qu'il "lâche" étaient grandes. Et voilà.

Ce matin, discussion avec les 4 autres rescapé.e.s du cours, qui tout comme moi ont bénéficié de 40 années de salaire convenable voire plus, de toute la protection sociale que ce vieux Code du Travail (bande-son : "Aux morts !!") nous garantissait : congés payés, arrêts maladies financés, etc. etc., sans parler d'une retraite plus que décente.

Et devinez ? Ces braves gens, frappé.e.s sans doute de troubles mémoriels, ne trouvent pas anormal ce statut d'esclaves sous-loués. J'entends des trucs comme "ah bien sûr, faut cotiser et travailler beaucoup" - sous-entendu : le p'tit prof, s'il n'a touché que 250 balluches c'est qu'il n'avait pas été assez "fourmi" pour se constituer une assurance arrière. Et puis, quant à notre propre vie professionnelle ? "Ah ben nous, on a été privilégiés". TF1 fait bien son boulot de relais de la parole ultralibérale, c'est sûr : des conditions salariales respectables, c'est un "privilège". Un autre 4 août, viiite !

Quant à leur appréciation de la situation, ce n'est pas que le prof a été très mal traité. Non : c'est que l'asso aurait dû les REMBOURSER, eux. Là va leur indignation (vigoureuse). Je précise que ces 4 personnes sont toutes propriétaires de leur logement et ont des revenus de retraités assez confortables (je les fréquente depuis assez longtemps pour le savoir, parce que n'est-ce pas, on discute). Vouallla. Remboursez. Une adhérente emploie même le terme de "geste commercial".

La Taulière leur rappelle assez sèchement qu'ils et elle ont connu un monde du travail protégé, cette protection étant aussi le résultat de luttes sociales (oh le gros mot !!) et qu'il serait peut-être correct de plutôt s'inquiéter de la situation de ces jeunes travailleurs "indépendants" que de questions de remboursement. Vous avez peut-être remarqué que ce billet comporte encore une avalanche de guillemets : c'est que, pour nommer les gens et les phénomènes sociaux, dans la période que nous vivons, notre vocabulaire d'un autre temps n'est plus congruent. A l'imbécile du "geste commercial" je fais savoir que ces mots s'appliquent peut-être à une agence de tourisme, mais pas à une association, qui justement ne fait pas de commerce. Voire.

Un seul d'entre eux se rend enfin compte et émet l'idée que si nos cotisations avaient servi à un geste de solidarité envers les profs ça aurait été plus juste tout de même. Ah. On les accouche aux forceps.

Le président de cette asso, que nous ne voyons quasiment jamais (on l'a sorti du formol pour le dernier pot de retraite - celui de la fameuse salariée), est un nonagénaire ancien prof du CHU, une sommité médicale qui sucre les fraises. Nous ne connaissons que le directeur, un gars sympathique mais principalement préoccupé de questions budgétaires. Sans doute subit-il lui aussi une certaine pression dans ce sens.

Je rappelle aussi à mes valeureux co-gymnastes qu'ils peuvent se rendre à l'AG pour s'exprimer dans ce sens. Ma phrase tombe dans un silence méditatif. Je ne suis pas bouchée : je sais à quel point je les emmerde avec mon discours de vieille gaucho, et que, quand je n'y suis pas, ils doivent en faire des gorges chaudes.

Bon, ben à la semaine prochaine, hein ! Entre temps je vais me propulser à l'asso pour aller un peu à l'info et peut-être gueuler. Va savoir.

Ah, j'oubliais : après nous avoir assuré que les cours seraient prolongés sur juillet pour nous permettre de reprendre le dessus après ces deux mois qui, pour les "seniors" ont fait pas mal de dégâts (j'ai neutralisé au passage un détail important : la reprise d'une activité sportive à l'issue du confinement, ça va dans le sens d'une meilleure santé des vieux, et ainsi on est réputés coûter moins cher), eh bien on a appris ce matin que non, les cours se termineraient fin juin. Le prof aussi, semblait avoir compté sur un petit revenu en juillet. Profiteur de guerre (2), va !!!

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(1) A l'usage de celleux qui redoutent "l'effondrement" je voudrais signaler qu'il a déjà eu lieu, à bas bruit. Le mot de "délitement" conviendrait peut-être.

(2) C'est pas moi qui l'ai dit, qu'on était en guerre. Mais ça se révèle peut-être plus vrai qu'on ne le pensait, et sans doute pas la guerre que Big Mac envisageait.

(3) Autre détail amusant : quand, en temps qu'indépendant.e, vous avez affaire à une boîte qui vous assure "le portage salarial" (exemple de vocabulaire congruent), pensez-vous que vous maîtrisez le tarif auquel on va vous louer ? Que nenni. Vous serez rémunéré.e au plancher, seule dimension dans l'espace que connaissent les fournisseurs de main-d'oeuvre. Si vous pensez valoir plus, rien ne vous empêche d'aller voir ailleurs. Il y a la queue devant la porte de l'officine.