Oui, éduquons, ce n'est jamais perdu. Quoique...

« Selon l'économiste Rémy Prud'homme, les Français passeraient 65 millions d'heures en plus dans leur voiture par an si la vitesse était abaissée à 110 km/h sur autoroute, soit l'équivalent du temps de travail annuel de 50.000 travailleurs. »

Cette perle perlissime ou ce chef-d'oeuvre de cynisme a été trouvée chez "Actu Orange" sous ce titre carrément surréaliste : « Abaisser la vitesse à 110 km/h sur autoroute pourrait coûter près d'un milliard d'euros à l'économie française ».

Tout l'article est de ce tonneau, à coups d'approximations voire de contre-vérités criardes. Que ce Prud'homme, proclamé "spécialiste des questions environnementales" (lui, on devrait bien passer au karcher son environnement cérébral) ait la parole, fût-ce sur BFMTV, que celle-ci soit relayée, fût-ce par des "médias" aussi improbables qu'Actu Orange, ne doit pas occulter la nuisance énorme que de tels propos ne manqueront pas d'occasionner sur les cerveaux déjà faibles des maniaques du volant et des experts en champignon écrasé lorsqu'ils se retrouveront au bistrot du coin, accrochés au comptoir, ou devant leur smartphone en train de fessebouquer des coconneries plus grosses qu'eux.

C'est en effet à leur niveau culturel que se place cette affirmation que "les Français" passeraient 65 millions d'heures en + dans leur voiture (calculé comment, ça ?) et surtout, l'ahurissant syllogisme qui apparente ce temps de bagnole à un temps "non travaillé". Que "les Français" soient constitués - sur la route comme ailleurs, aussi bien de retraité.e.s, de chômeurs, de professions libérales (dont la productivité les regarde strictement), de touristes étrangers (non, lui il a décompté les Français) et, en tout état de cause, d'une bonne partie de gens qui tout simplement partiront un peu plus tôt de chez eux pour arriver de toute façon à leur taf où ils ont un horaire à respecter (ce que Prud'homme semble ne pas savoir), peu importe. Le tout c'est de balancer des chiffres et, pour Actu Orange, d'arrondir joyeusement les 936 millions calculés par le sieur Prud'homme à 1 milliard. Tant qu'à faire.

Voilà lâché le gros mot : "coût" : c'en est harassant, à la fin, de toujours écouter ces abrutis de l'ultra-libéralisme s'exprimer exclusivement en termes de "coûts" (s'il fallait évaluer leur coût à eux en matière d'impact de leurs conneries, je crains que ce soit gigantesque).

Qu'il ose, de plus, mettre en regard ce "coût" prévisible (calculé par lui au doigt non seulement mouillé mais merdeux) de 936 millions d'euros en le déclarant bien supérieur aux gains des accidents évités, estimé à 48 millions d'euros par le "Commissariat général au développement durable" (sombre officine au demeurant), c'est carrément obscène. Il soustrait les morts de la route des heures d'ouvriers perdues (imaginées, de surcroît), lui ???

« La proposition la semaine dernière de la Convention citoyenne pour le climat d'abaisser la vitesse sur l'autoroute de 130 à 110 km/h polarise déjà l'opinion et a déclenché l'ire des associations d'automobilistes, faisant écho à la grogne déjà déclenchée par les 80km/h sur nationale. »

Et que je te colle une belle photo d'embouteillage à six voix pour illustrer tout ça.

Rahh ça me fatigue, je vous jure.

On ne donne pas cher de la peau de cette pauvre Convention citoyenne (si ce n'était pas déjà une vaste galéjade et un truc potentiellement archi-enterré. Vous ne me croyez pas ? Rendez-vous dans, tiens : allez, 3 ans), devant cette levée de boucliers - pardon : de capots - des fondus du volant.

J'ai parlé plus haut de capacité de nuisance d'un tel article. Il n'y a qu'à lire les commentaires, c'est à s'endeuiller pour le reste de l'année. Sont-ils nombreux ? Quel réservoir de voix - puisqu'on persiste à voter - représentent-ils ? Quelle force ? Du même tonneau que les chasseurs (un peu les mêmes d'ailleurs, car Prud'homme a-t-il pris en compte les heures de chasse perdue par les 4x4 obligés de ramer à 110 à l'heure pour aller tuer leur cerf en Sologne ?)

D'ailleurs, plus je vieillis et plus les choses se répètent et que ça me fatigue grave : quand c'est la gauche qui gouverne (ou quand une proposition émane, comme le dit un commentateur éclairé "d'anars écolos", les automobilistes se dressent, y compris avec des bonnets rouges (fournis par le patron des tricots St-James, un pauvre hère), de même que les taxis, les patrons routiers, les flicards. Quand c'est la droite, les syndicats arpentent la rue avec les enseignants, les fonctionnaires des services publics en général, les juges...

Bref, ce qu'ils veulent, tous autant qu'ils sont, c'est le bon vieux fight, la baston, en découdre, le "passera-pas", le "on les aura !" et autres "Nach Berlin !".

Jamais une discussion ouverte. Jamais d'accueil à l'autre. Toujours ces vieux combats tribaux du Moyen-Age (et encore, ils étaient peut-être moins belliqueux). Ho, les meufs, quand c'est qu'on prend sérieusement les choses en mains ? (et n'allez pas me servir des contre-exemples à la con, ressusciter Thatcher ou Golda Meir. Mais non, vous ne le ferez pas). Et surtout, jamais un pas de côté. Toujours marcher, "en avant, harche !!" dans les ornières du précédent.

Dans ce billet, ma rogne s'est dispersée. Mais bon c'est ce qui fait mon indéfinissable charme. Enfin, la cible du jour c'est bien le menteur affirmé qui a pondu ce calcul atterrant. Pour les autres, on verra après.

Ah putain, faudrait tout renverser, tiens.


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Pour celles et ceux qui s'étonneraient de mon masochisme, je lis toujours "chez l'ennemi" (j'emploie à dessein un vocabulaire guerrier) et n'hésite jamais à me farcir "Valeurs actuelles" (les jours où je suis très reposée, très calme), BFM et autres Figaro. Il faut savoir exactement comment ces gens pensent, décrypter leurs argumentaires (assez facile au demeurant). Ne lire que ce qui va dans le sens de notre poil est une perte de temps, en quelque sorte.