A partir de juin c'est toujours la poussière qui gagne
et le ronflement de motos énervées
gros moteurs pulsant de tuyères brûlantes
dans la nuit foutue.

Pourtant ce n'est pas encore l'horreur générale :
de minces et jolies averses, à intervalles réguliers,
comme un petit temps changeant envoyé de Bretagne
inespérées mais bien réelles
viennent adoucir
nos peines dans l'après-midi.
Nous mesurons les jours gagnés - contre l'été

et nous implorons que ça dure encore
quelques jours, monsieur le bourreau !

Nos rêves urbains - j'ai consulté, je n'invente pas tout cela
et puis comme on dit je me souviens -
nos rêves tournent autour de persiennes
métalliques ajourées
qui protègent vraiment bien
de ce qu'on appelle les fortes chaleurs
indescriptibles sinon de l'intérieur.

Alvéoles pulmonaires péniblement dépliées
coeur battant
vague nausée pesante fatigue migraine
mauvais sommeil
on connaît tout cela tandis que la ville endure
et que les plus turbulents d'entre nous
protestent en braillant, chargés de mauvaise bière

Innombrables, engeôlés derrière nos stores de plastique surchauffé
qui laissent les vitres brûlantes
on supporte, on attend que ça finisse
bah deux mois c'est vite passé la vie aussi

La peste soit des architectes, propriétaires,
constructeurs, installateurs,
quadrige infernal de cupidité.

Ils nous font pâtir deux fois :
en fabriquant ces misères à bas prix
qui participent allègrement à la plastification du monde
en les achetant par économie
car ce n'est pas pour eux,
derrière leurs volets de bois dans leurs propriétés
de pierre dure et de frondaisons douces
mais pour nous autres qui les enrichissons.
Ils ne veulent rien savoir de nos entassements,
de la peine infligée par le store plastique
Le monde qu'ils conçoivent pour les autres
est dégueulasse et leur rapporte gros.

Le volet de bois n'est pas mal, mais parfois
il fait trop le sombre
Dans la maison cossue, balzacienne
une obscurité d'intrigue
asphyxie les jeunes filles fanées.
On se hâte et l'on ouvre trop tôt :
encore des flots de soleil brûlant
il faut se recloîtrer.

La persienne métallique offre un frais idéal :
elle laisse aimablement passer la lumière
mais pas la chaleur.
Le soleil trace des fantaisies sur le mur opposé
raye nos petits tableaux de papier étire ses lignes au fil de l'heure qui passe,
et voilà un cadran solaire improvisé.

Le système d'accrochage rudimentaire
est parfois source de rudes pinçons
(on prend vite de bonnes habitudes de prudence,
une fois percée la petite boule de sang
accumulée sur l'index)
mais il permet de jouer avec l'air
qui, du coup, circule
tandis que la chaleur reste arrêtée par l'épais métal
peint de couleur claire.

Gloire au métallier qui connaît son ouvrage
et n'a pas pleuré la matière
La persienne métallique est increvable et modeste
Elle remplit son office d'innombrables saisons
moyennant un décrassage triennal.
Elle fait l'hiver moins froid et l'été moins chaud.

La persienne métallique nous invite
à demeurer tranquille en nos murs
et regarde, navrée, son imitation de plastique blanc
qui défigure tant d'immeubles
car elle se détraque et pendouille
jamais remplacée (encore un sou de gagné)
à peine moins horrible que le "volet roulant"
qui ne roule que son utilisateur.
Lui nous fait vivre au tombeau ou ne sert à rien.

C'est pour cela qu'année après année
Ils démontent les persiennes métalliques
pour installer cette infamie :
le volet roulant qui ne se repeint pas
(encore un sou de gagné).

A la télé, dans les journaux, on montre aux encagés de l'été
en leur faisant croire que c'est la liesse générale
des familles heureuses courant vers la mer
des enfants dans la joie des prairies alpines
qui ne sirotent pas, comme leurs mômes
du soda tiède à même la bouteille
tandis qu'ils s'emmerdent à trois sous l'heure
en bas de l'immeuble aux volets roulants
hermétiquement fermés.

Au fait,
où vont mourir,
dans quel cimetière de casse générale
où vont finir les anciennes,
increvables, protectrices
persiennes métalliques ?