Les personnages :

- Loustic, chat tigré roux, yeux mordorés, environ 5 ans
- Lili, sa compagne, noirette intégrale, yeux vert anis virant parfois au vert jade, environ le même âge
- La Taulière, garde-chats surnommée dans le secteur "Mamie-Grosses-Portions", sans doute en raison d'une générosité qui ne lui coûte rien.

Pour qui connaît bien l’espèce et sait à quel point elle peut se montrer retorse en cas de besoin, je dirais que les chats qu’on garde ont, en matière de nourriture, une stratégie relativement peu subtile, mais très efficace : l’air totalement déprimé, ils dorment beaucoup, errent à travers la maison, l’œil en berne, du pas du taulard qui mesure sa cellule (alors que la porte du jardin est ouverte).

Ils passent et repassent devant leurs gamelles bien que ce ne soit pas l’heure. Et repassent. Et vous lancent un regard signifiant que ça les consolerait, une petite avance sur le repas. Au besoin, lancent un frêle miaulement, de ceux qui arracheraient une larme, pour un peu.

Pour qui se souvient d’avoir soigné plus d’un trou d’air avec des allers/retours vers le placard à chocolat, c’est le moment d’appliquer à autrui ce remède vieux comme le monde. Préparons donc deux assiettes, que ces voraces expédient sans autre forme de procès.

Mais ce n’est pas du room-service que je voulais vous entretenir. Plutôt d’un de ces moments de la cohabitation félins / humain.e.s où ces dernier.e.s peuvent se montrer si obtus.e.s, si cancres, que les pauvres animaux désespèrent de se faire comprendre de nous, surtout s'il s'agit d'un spécimen particulièrement bouché.

Pourtant, leurs signaux, une fois décodés, sont parfaitement compréhensibles. Encore faut-il être muni d’yeux et d’oreilles et savoir s’en servir… Quelques neurones peuvent aussi se révéler utiles.

A la décharge de la Taulière, une intervention en pleine nuit, déclenchée au moment où le sommeil vous a pris par le travers et vous remorque au fil de vos rêves…

- Yahoo ! (répété plusieurs fois)

Soulevons une paupière glauque et demandons-nous pourquoi Lili veut consulter sa boîte mail ?

- YAHOO ! L’appel est bref, la voix claire. Nulle revendication, pas (encore) d’impatience, mais une demande péremptoire.

- YAHOO !!

Ah pardon ! Extirpons-nous du sommeil et voyons quoi-t’est-ce : Lili est assise au seuil de ma chambre, l’air amène (et amène-toi). Elle est assise, mais du genre prête à se lever et à me conduire, telle la permanencière qui vient vous cueillir pour une urgence, certes non vitale mais tout de même urgente, aux petites heures de la nuit glacée, en laissant tourner le moteur de la bagnole, portière passager ouverte.

Je vise mes pantoufles, réussis à y faire entrer mes pieds dans l’ordre, me verticalise de manière incertaine. Il est 4 h 40, je me suis couchée à 1 h 30.

Ce qu'ayant constaté (ma verticalité relative, pas mon état de veille), Lili tourne les papattes et gravit l’escalier qui mène à la cuisine en trois bonds (et moi en 8 reptations assaisonnées de diverses douleurs articulaires).

- Yahoo ! (devant la porte du jardin).

Ah, un petit besoin ? Ok, je peux comprendre. En plus, j’ai laissé la caisse de litière sur la terrasse parce que dans la cuisine, euh, bon... Je relève le volet roulant de la baie vitrée, lequel manque d’huile à un point qu’il est un concert de musique atonale à lui tout seul (hiiii, criiii, hiiiii…). Il fait une chaleur de bœuf, le ciel est couvert, pas la moindre brise. Je décide donc, tant que j'y suis, de créer un courant d’air et ouvre toutes les portes-fenêtres.

Mais Lili n’avait pas de petit besoin : elle est juste plantée sur la terrasse et lève les yeux vers le toit, d’où s’élève une plainte misérable :

- Miaaa…

Nom de dieu ! Loustic est sur le toit !! Et apparemment il ne sait pas comment redescendre. Faut dire que la maison d’ici est très grande et mitoyenne. Le côté occupé par la famille Chats & Compagnie s'érige sur trois niveaux. Je dors au rez-de-chaussée et il y a, au-dessus, deux étages.

Une grande et haute maison, pour sûr...

(à suivre)